Michel Troper, “La Souveraineté, inaliénable et imprescriptible”

Commentaire de texte : Michel Troper, “La Souveraineté, inaliénable et imprescriptible” in Le Droit et la nécessité, PUF, « coll. Léviathan » 2011, pp. 77-98.

Le professeur Troper nous présente un texte concernant la souveraineté mais dans lequel il tentera d’en parler d’un point de vue strictement juridique[1]. Il laisse par conséquent de côté, tel qu’il le dit dans la première partie du document, les aspects politiques, économiques, sociologiques ou d’un autre ordre car ceux-ci, bien qu’ils soient importants, n’attirent pas l’attention du juriste et ne font pas partie de son propos.

Après encadrer le sujet, le professeur Troper affirme que « [l]e mot souveraineté désigne en effet un ensemble de prérogatives juridiques et non la capacité de les employer effectivement. »[2] Ce qui nous conduit à penser la souveraineté comme une catégorie irréductible de l’esprit et non comme quelque chose d’extérieure à lui. En effet, c’est cela qu’il tentera d’avancer tout au long de son écrit[3].

Partant des définitions du mot données par Carré de Malberg dans la Contribution, celui-ci ayant pris celles-ci de Jellinek, le professeur Troper soutient que « on se demande parfois si la souveraineté peut être divisée. Mais la réponse dépend du sens qu’on attache à ce terme. »[4] Ce qui l’amène à conclure que « [d]ire qu’il peut y avoir une atteinte à la souveraineté signifie simplement qu’il n’est plus possible de justifier de manière cohérente l’une ou l’autre de ces quatre propositions. »[5]

Le professeur Troper part donc de l’idée selon laquelle les états sont souverains. Celle-ci est l’axiome d’où part son raisonnement (I). Or, il serait utile de se demander dans quel but l’auteur présente sa théorie (II).

  1. La Souveraineté des états en tant que catégorie irréductible

De l’analyse des notions avancées par Carré de Malberg, Troper conclu ainsi : « Or, si l’on analyse le discours juridique, on ne peut que constater que, malgré toutes les transformations politiques et économiques, malgré la mondialisation, malgré la construction européenne, ces quatre concepts de souveraineté sont toujours nécessaires et présents. »[6]

En tant que catégorie irréductible de l’esprit, le juriste ne peut ni affirmer ni nier l’existence de la souveraineté, il peut simplement la constater. En effet, « [i]l n’y aurait de fin de la souveraineté que dans le cas où le discours juridique, celui des constitutions, de la jurisprudence, de la doctrine, cessait. »[7] Ce qui pourrait nous faire penser que tant que la doctrine écrive sur le sujet, la souveraineté existera. Ce qui ne va pas sans se demander si le texte même de Troper rentre dans ce but. Me semble-il que la réponse est affirmative et que loin de vouloir théoriser ou nous montrer une soi-disant « théorie objective de la souveraineté », le professeur Troper écrit pour que la souveraineté ne meurt pas. C’est ce que nous voudrions essayer de montrer dans les lignes qui suivent.

Après l’introduction, l’article est divisé en quatre parties ou quatre sous-chapitres. Le premier est consacré à la « Souveraineté internationale », le deuxième parle de « L’existence d’un souverain », le troisième s’intitule « La Puissance d’état » et le quatrième porte sur « La Souveraineté comme principe d’imputation », étant celui-ci le plus juridique de tous.

Plus que le droit international, ce qui intéresse le professeur Troper dans cette première partie est de montrer pourquoi l’Union Européenne n’est pas d’abord un état fédéral, loin de l’être, ni une confédération. Mais aussi, comment la France garde toujours le pouvoir dans ses mains, la souveraineté, et elle pourrait décider parfaitement d’en sortir dès qu’elle le voudra. Ce qui l’amène à proposer le postulat selon lequel « la validité des normes d’un ordre juridique national ne dépend en rien de leur conformité au droit international et c’est précisément en cela que consiste la souveraineté internationale des États. »[8]

D’un point de vue strictement juridique la souveraineté est sans limite, ou plutôt, cette figure de la limitation ne s’applique pas à la catégorie de la souveraineté. Car « à supposer qu’une telle ‘limitation’ soit possible, elle résulterait non du droit international, mais de la constitution, c’est-à-dire de la souveraineté de l’État lui-même et il s’agirait tout au plus d’une autolimitation. »[9] Cette position prise par l’auteur ne vient pas sans quelques remarques qui feraient mieux comprendre sa thèse sur la souveraineté des états et la placer dans une des théories dominant la philosophie du droit.

  1. Un « kelsénisme » intransigeant ?

En ce qui concerne la validité du système juridique, le professeur Troper a une position un peu distincte de celle de Kelsen. Ainsi, « le fondement de validité des normes qui forment son ordre juridique [de l’état] ne réside ni dans l’ordre juridique d’un autre État, ni dans l’ordre juridique international. »[10] Pour le juriste autrichien, le fondement de validité des ordres juridiques étatiques peut résider dans une norme internationale. Kelsen arrive à cette conclusion après faire son incursion en droit international après 1945.

Parlant de la puissance d’état, l’auteur considère que « [l]’essentiel est qu’il soit à tout moment possible à l’État de retirer ces compétences à ceux qui les exercent. Dans l’ordre interne, ce retrait peut être opéré par la loi, dans l’ordre international par la dénonciation du traité. Telle est justement la signification de l’affirmation que la souveraineté est inaliénable. »[11] Or, on ne saurait pas soutenir en pratique une thèse comme celle-ci. Pensons à un état qui veut se retirer de l’ONU ou de la compétence de la Cour internationale de justice, en théorie il pourra le faire, mais en pratique il risque d’avoir des sanctions économiques, sociales, etc., ainsi que des ruptures diplomatiques avec d’autres états. Quoi qu’il en soit, ce que le professeur Troper, nous semble-t-il, veut dire c’est que l’état garde la possibilité théorique de le faire.

La conclusion en est que « tout État pourrait en principe adopter en forme constitutionnelle n’importe quelle mesure, dans n’importe quel domaine, parce qu’il n’existe aucune procédure nationale ou communautaire permettant d’annuler une norme de rang constitutionnel. »[12] Nous sommes amenés à penser si cette affirmation ne faisait pas voir chez lui une certaine forme de « kelsénisme », ou de normativisme pur dans le sens où l’on pourrait tout faire car l’état reste tout puissant et tout souverain et, du seul point de vue logique, il n’aurait pas de limitation à édicter les règles qu’il voudrait ou à faire ce qui le plairait dans la scène international ; la question de la validité de la norme étant la seule importante.

Au fond, l’auteur arrive à la conclusion que tout revient à l’état, qui est le seul vrai souverain. Même dans le cas où un état mettrait les traités au-dessus de tout son droit car cette disposition se fait par la voie d’une norme interne. On pourrait donc dire que tout est souveraineté et que même lorsque dans la réalité il n’en resterait rien, cette catégorie continuerait à être présente car elle serait « connaturelle » à l’existence de l’état, tout comme l’homme par le seul fait d’exister est doté d’un cerveau, les états de même auraient une souveraineté.

Outre le fait qu’il impute la souveraineté à l’état, droit et état sembleraient être la même chose. Or, l’état n’est pas souverain, ce qui est souverain est la règle de droit [que ce soit un droit positif ou non], ce qui compte c’est que cette règle soit tirée de la société dans laquelle s’inscrit et qu’elle soit reconnue comme telle et acceptée. C’est donc la démarche normativiste qui le ferait arriver à cette conclusion-là. Or, il est parfaitement louable son but, puisque comme l’a-t-il dit au début du texte, il s’agit de ne pas laisser mourir la souveraineté. Son nationalisme et son souverainisme montrent à quel point les constructions communautaires et internationales ont envahi les nations. Sa réaction se comprend puisque en fin de comptes « [l]a souveraineté n’est donc pas une propriété objective de l’État, que l’on pourrait observer et décrire. »[13]


[1] M. Troper, « La Souveraineté… », op. cit., p. 79 “On adoptera ici plutôt une attitude strictement descriptive et l’on traitera le problème du seul point de vue juridique. On se demandera non pas si la souveraineté constitue un obstacle à l’intégration, ni, dans l’affirmative, s’il est souhaitable que cet obstacle soit conservé ou supprimé, mais seulement si, au stade actuel de la construction européenne, la souveraineté des États subsiste ou a été affectée ou encore si cette notion a déjà perdu son caractère opératoire.”

[2] Id., p. 80.

[3] Id., p. 82 « la souveraineté n’est pas plus une substance qu’un pouvoir empirique. C’est un ensemble de concepts. »

[4] Ibid.

[5] Id., p. 82.

[6]  Id., p. 82.

[7] Id., p. 82.

[8] Id., p. 83.

[9] Id., p. 84.

[10] Id., p. 85.

[11] Id., p. 89.

[12] Id., p. 90.

[13] Id., p. 98.

Material de interés

Recursos

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