Influence du droit constitutionnel de la Vème république française sur le droit colombien. Le cas du concept de bloc de constituionnalité

Carlos Mario Dávila

Ayant pris avec la Constitution de 1991 un tournant de cent quatre-vingt degrés, il est difficile de trouver des influences du droit constitutionnel français dans le droit constitutionnel colombien. Cependant, dans ces lignes, il sera question d’une de ces rares figures ayant traversé l’atlantique pour s’installer en droit colombien. Il s’agit du concept de bloc de constitutionnalité développé par la doctrine constitutionnelle française après les années 70’s.

     Tout d’abord, l’on parlera des raisons qui ont donné lieu à la création de ce concept de la part de la doctrine française depuis un arrêt du Conseil constitutionnel (I), pour ensuite montrer son application en droit colombien par un arrêt de la Cour constitutionnelle en 1995 et établir ainsi les différences (II).

I. LA CRÉATION DU CONCEPT DE BLOC DE CONSTITUTIONNALITÉ PAR LA DOCTRINE FRANÇAISE

     Développé par la doctrine constitutionnaliste française à partir du concept de bloc de légalité en droit administratif, le concept de bloc de constitutionnalité est nait d’un besoin politique fruit d’une décision du Conseil constitutionnel. Bien que c’est avec la décision DC 71-44, Liberté d’association que le Conseil déclare la non conformité d’une disposition légale par rapport au préambule de la Constitution, c’est un an auparavant dans la décision DC 70-39 du 19 juin 1970, Traité du Luxembourg que cet organe inclut pour la première fois dans ses visas cet déclaration, quoique cette fois-ci ce n’est pas en vue d’annuler la norme.

      Ce terme fut utilisé pour la première fois par Claude Eméri y Jean-Louis Seurin, professeurs à Bordeaux, qui écrivaient le suivant :

« [L]’on peut à juste titre s’étonner que la Haute juridiction […] construise ainsi un véritable ‘bloc de la constitutionnalité’ composé de l’article 92 qui posent ‘les principes d’organisation du parlementarisme limité’ ». (Guillemets dans le texte original).[2]

     Néanmoins, ces deux auteurs ne faisaient pas référence dans son commentaire aux mêmes normes que Louis Favoreu a prises pour développer son bloc.

Cette théorie du bloc de constitutionnalité a eu son impact en droit constitutionnel français et a servi pour construire un nouveau modèle de contrôle de la constitutionnalité des normes par rapport à un texte supérieur en hiérarchie et élargir le pouvoir du juge constitutionnel. Or, tel que son développeur l’a dit, la notion de bloc peut être désormais abandonné en profit de celle de forme constitutionnelle[3].

     Or, le bloc de constitutionnalité importé en Colombie a la même portée qu’en droit français ? A-t-il été créé en raisons des mêmes besoins ? Et, finalement, avait-on besoin de cette figure dans notre ordonnancement juridique ?

II. LE CONCEPT DE BLOC DE CONSTITUTIONNALITÉ EN DROIT COLOMBIEN

Cette figure a été introduite en droit colombien par la Cour constitutionnelle dans un arrêt de 1995[4]. L’on y trouve ces considérations :

« La Cour considère que la notion de ‘bloc de constitutionnalité’, provenant du droit français mais qui a fait carrière dans le droit constitutionnel comparé, permet d’harmoniser les principes et mandats apparemment en contradiction des articles 4 et 93 de notre Charte. »[5]

Le raisonnement de la Cour continue en disant que:

« Ce concept a son origine dans la pratique du Conseil constitutionnel français, lequel considère que, comme le Préambule de la Constitution de ce pays fait référence au préambule de la Constitution dérogée de 1946 et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ceux textes sont aussi des normes et principes ayant valeur constitutionnelle et conditionnait la validité des lois. D’après la doctrine française, ceux textes forment un bloc avec les articles de la Constitution »[6].

Pour ensuite le définir ainsi :

« Le bloc de constitutionnalité est composé des normes et principes qui, bien que n’étant pas présents dans le texte, sont utilisés comme paramètres du contrôle de constitutionnalité des lois du fait d’avoir été insérés dans  la Constitution par diverses voies et par mandat de la Constitution même[7]. »

     Dans cette affaire il était question d’un traité international et de savoir la portée juridique de celui-ci. La Cour a profité l’occasion pour introduire ce concept et, partant, élargir son champ de référence par la voie de l’article 93, paragraphes 1 et 2, de la Constitution, lequel prescrit :

« Les traités et conventions internationales ratifiées par le Congrès, reconnaissant de droits fondamentaux et interdisant leur limitation lors des états d’exception, prévalent dans l’ordre interne.

Les droits et devoirs de cette charte seront interprétés de conformités aux traités internationaux ratifiés par la Colombie[8]. »

La citation doctrinale donné par la Cour comme référence est l’article de  Louis Favoreu « El bloque de constitucionalidad », in Revista del Centro de Estudios Constitucionales, No 5, [l’année n’est pas indiquée] pp. 46 y ss. Ainsi que le livre de Javier Pardo Falcón, El Consejo Constitucional francés, Madrid, Centro de Estudios Constitucionales, 1990, pp. 115 y ss.

Peu de temps après la décision de 1995, la Cour même, dans d’autres décisions, a élaboré deux notions du bloc, celle de bloc de constitutionnalité latto sensu et celle debloc de constitutionalité strictu sensu. Dans la première, la Cour aboutit à inclure certaines lois organiques, ce qui arrive à donner un statut constitutionnel à plusieurs normes dont la portée ne le mérite pas. D’autre part, le bloc de constitutionnalité strictu sensu reste fidèle aux premiers éléments définis par la Cour dans l’arrêt fondateur de 1995, c’est-à-dire, le préambule[9], les articles de la Constitution, les traités des droits fondamentaux, les conventions de l’OIT et les traités de droit international humanitaire.

     Il est très difficile aujourd’hui de déterminer la portée du bloc et ses éléments car la Cour constitutionnelle y insère de temps en temps de nouvelles normes. Cependant, voici, à titre d’indication, l’énumération des composantes du bloc faite par la doctrine colombienne : a) le préambule; b) les articles de la Constitution; c) les traités internationaux ratifiés par la Colombie dont la limitation lors des états d’exception est interdite; d) les lois organiques; e) certaines lois statutaires; f) les traités internationaux portant sur la plateforme continentale; g) les traités internationaux relatives aux frontières[10].

La situation actuelle du bloc est compliquée, voire débordée, étant donné le fait que la Cour constitutionnelle continue à y insérer des nouveaux droits ainsi que ce qu’elle appelle des ‘principes’. Le cas, par exemple, de l’arrêt C-767 de 2014 où la Cour introduit le principe de progressivité (ou de non-régression) des droits sociaux fondamentaux, qui a été reconnu, selon elle, dans divers traités internationaux de droits de l’homme, comme par exemple le PIDESC, article 2,1 ; la Convention américaine des droits de l’homme, article 26 ; le protocole additionnel à cette convention, portant sur les droits économiques sociaux et culturelles, appelé Protocole de ‘San Salvador’, article 1.[11]

Le dernier arrêt de la Cour constitutionnelle de Colombie sur ce sujet a été lors d’un recours de protection de droits fondamentaux (tutela), T-475 de 2014, portant sur le droit à l’éducation des peuples indigènes et sa reconnaissance dans le bloc de constitutionnalité, a dit :

« [D]ans le bloc de constitutionnalité il y a divers instruments obligeant l’État à garantir les conditions nécessaires pour que, en accord aux nécessités des peuples indigènes, les membres de ces communautés puissent avoir accès à la connaissance dans des conditions d’égalité d’opportunités et non discrimination[12] »

     L’idée du bloc de constitutionnalité en droit colombien, d’après ce que l’on vient de voir, n’est pas la même que celle du droit français. La doctrine constitutionnaliste française l’a développé pour faire rentrer la France dans cette nouvelle vague de constitutionnalisme chargé de protéger les droits fondamentaux par un tribunal  puissant et un catalogue étendu des droits ainsi qu’un contrôle étendu de la constitutionnalité. Certains ont même parlé d’une VI République[13] depuis la décision Liberté d’association. Or, en Colombie ce n’était pas le cas puisque les instruments étaient déjà inclus dans la Constitution de 1991. L’on ne devait pas élargir ce catalogue, si étendu d’ailleurs, car les raisons pour lesquelles la doctrine française a du faire appel à cette notion ne se justifient pas en droit colombien. En effet, la Constitution française ne comptait à l’époque qu’avec une seule liberté fondamentale, celle d’aller et venir. Mais le texte constitutionnel colombien possédait déjà une grande quantité des droits pour assurer le rôle de la Cour constitutionnelle de Colombie comme gardien de la Constitution.

Pour clore cet essai, il serait nécessaire de se demander si le transfert de cette notion était nécessaire compte tenu de l’article 94 de la Constitution, dont sa portée est la suivante :

« L’énonciation des droits et garanties contenus dans la Constitution et les conventions en vigueur, ne doivent pas s’entendre comme étant la négation des autres droits qui, tout en étant inhérents pas la personne humaine, ne figurent pas expressément dans ces textes. »[14]


[1] Sauf mention, les traductions de l’espagnol de Colombie au français sont de l’auteur.

[2] Claude Eméri et Jean-Louis Seurin, « Chronique constitutionnelle et parlementaire française », RDP, (1970), p. 678.

[3] Louis Favoreu, « Le bloc de constitutionnalité », in Dictionnaire constitutionnel, Olivier Duhamel et Yves Mény, (dirs.), Paris, PUF, 1992, pp. 87-9.

[4] Sur le bloc de constitutionnalité colombien voir notamment César Londoño Ayala, El Bloque de constitucionalidad, Nueva jurídica, Bogotá, 2010 et Óscar Dueñas Ruíz, Lecciones de teoría constitucional, Librería del profesional, Bogotá, 2001, pp. 7-8.

[5] Cour constitutionnelle, arrêt C-225 de 1995. [La Corte considera que la noción de “bloque de constitucionalidad”, proveniente del derecho francés pero que ha hecho carrera en el derecho constitucional comparado, permite armonizar los principios y mandatos aparentemente en contradicción de los artículos 4º y 93 de nuestra Carta.] (Guillemets dans le texte original).

[6] Ibid. [Este concepto tiene su origen en la práctica del Consejo Constitucional Francés, el cual considera que, como el Preámbulo de la Constitución de ese país hace referencia al Preámbulo de la Constitución derogada de 1946 y a la Declaración de Derechos del Hombre y del Ciudadano de 1789, esos textos son también normas y principios de valor constitucional que condicionan la validez de las leyes. Según la doctrina francesa, estos textos forman entonces un bloque con el articulado de la Constitución].

[7] Ibid. [El bloque de constitucionalidad está compuesto por aquellas normas y principios que, sin aparecer formalmente en el articulado del texto constitucional, son utilizados como parámetros del control de constitucionalidad de las leyes, por cuanto han sido normativamente integrados a la Constitución, por diversas vías y por mandato de la propia Constitución.]

[8] [Los tratados y convenios internacionales ratificados por el Congreso, que reconocen los derechos humanos y que prohíben su limitación en los estados de excepción, prevalecen en el orden interno. Los derechos y deberes consagrados en esta Carta, se interpretarán de conformidad con los tratados internacionales sobre derechos humanos ratificados por Colombia.]

[9] Celui-ci avait déjà été evelé au rang de norme juridique constitutionnelle dans l’arrêt C-479 de 1992.

[10] Germán López Daza, La Jurisdicción constitucional colombiana: ¿Un Gobierno de los jueces?, Neiva, Universidad Surcolombiana, 2005, p. 146.

[11] Cour constiutionnelle, arrêt C-767 de 2014.

[12] Cour constitutionnelle, arrêt T-475 de 2014. [en el bloque de constitucionalidad hay diversos instrumentos que obligan al Estado a garantizar las condiciones necesarias para que, de acuerdo con las necesidades de los pueblos indígenas, los miembros de dichas comunidades puedan acceder al conocimiento bajo los principios de igualdad de oportunidades y no discriminación.]

[13] Christophe Chabrot, « Ceci n’est pas une Vème République », RFDC, No. 82, 2010, pp. 257-72.

[14] [La enunciación de los derechos y garantías contenidos en la Constitución y en los convenios internacionales vigentes, no debe entenderse como negación de otros que, siendo inherentes a la persona humana, no figuren expresamente en ellos.]

Material de interés

Recursos

Responsabilidad civil del Estado bajo la Constitución de Rionegro

Este escrito busca analizar los orígenes de la responsabilidad de la administración pública en Colombia en el periodo comprendido entre 1864 y 1886, con el fin de matizar las posturas de la doctrina imperante en la materia – incluida la jurisprudencia –, que afirma el nacimiento de esta a finales del siglo XIX, olvidando toda una tradición anterior a la Constitución de 1886 y al surgimiento de las primeras gacetas de la Corte Suprema. Se intenta dar una respuesta a un tema de por sí controversial, pero también apasionante y necesario para comprender el derecho de daños actual en Colombia.

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